I. — INSCRIPTIONS ET ANTIQUITÉS DU DAŠT-E
NĀWUR
5. Inscriptions en caractères grecs
Inscription DN I
(Pl. III, fig. 7-13)
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Fig. 7 | Fig. 8 | Fig. 9 | Fig. 10 |
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Fig. 11 | Fig. 12 | Fig. 13 |
Hauteur 50 cm, largeur maxima 54 cm. La pierre n’a jamais été réglée et la gravure est très irrégulière. Les lignes, de longueur variable, sont vaguement alignées à gauche. Leur espacement diminue du début à la fin de l’inscription. Elles ne sont pas parallèles, elles ne sont pas horizontales (elles remontent légèrement vers la droite), elles ne sont pas droites. Les lettres, dont la disposition en hauteur n’est pas régulière, sont de taille variable, en général grandes en début de ligne, petites en fin de ligne. Elles sont inégalement espacées: nettement séparées en début de ligne, elles sont souvent très serrées en fin de ligne [20]. La gravure est profonde en début de ligne, superficielle en fin de ligne.
L’alphabet grec ici employé est celui des
inscriptions monumentales d’époque kuṣāṇa,
tel que nous l’ont révélé les fouilles de SK. La graphie de DN I, comme celle de
l’inscription pariétale dite SK l [21],
est exclusi-
20. Cette irrégularité des espacements, due en partie seulement à la nature de la pierre, rend impossible de déterminer avec certitude le nombre des lettres manquant dans les lacunes.
21. Les inscriptions de SK sont numérotées par ordre de publication.
— SK 1: inscription pariétale. Premiers blocs publiés par R. CURIEL, JA, 1954, pp. 189-193; 2e série de blocs publiée par A. MARICQ, JA, 1958, pp. 414-416; dernière série de blocs publiée par E. BENVENISTE, JA, 1961, pp. 141-150 (avec réédition des blocs antérieurement publiés).
— SK 2: dalle de pierre inscrite/inscription inachevée. Publiée par R. GURIEL, JA, 1954, pp. 193-194; lecture améliorée par A. MARICQ, JA, 1958, p. 416; important commentaire historique de A. D. H. BIVAR, BSOAS, 1963, pp. 498-502; lecture trop poussée de HUMBACH, Bak. Sp., pp. 100-101.
— SK 3: inscription de Palamède. R. CURIEL, JA, 1954, pp. 194-197; W. B. HENNING, BSOAS, 1966, pp. 366-367; A. MARICQ, JA, 1958, pp. 430-431; E. BENVENISTE, JA, pp. 150-152.
—SK 4 M: inscription M(onolithe). Éditée par A. MARICQ, JA, 1958, pp. 345-440 et E. BENVENISTE, JA, 1961, pp. 114-117 et 136-140.
—SK 4 A et B: versions plus brèves de SK 4 M. Éditées par E. BENVENISTE, JA, 1961, pp. 117-140.
Les contributions les plus importantes pour le déchiffrement de ces inscriptions sont, outre celles des auteurs déjà cités, celles de W. B. HENNING, BSOAS, 1960, pp. 47-55; A. MARICQ, JA, 1960, pp. 161-166; I. GERSHEVITCH, BSOAS, 1963, pp. 193-196; J. HARMATTA, Acta Antiqua Academiae Scientiarum Hungaricae, XII, 1964, pp. 373-471; W. B. HENNING, Zeitschrift der Deutschen Morgenländischen Gesellschaft, 1965, pp. 75-80; I. GERSHEVITCH, Asia Major, 1966, pp. 179-198; I. GERSHEVITCH, Indogermanische Forschungen, 1967, pp. 27-57; G. MORGENSTIERNE, BSOAS, 1970, pp. 125-131.
Tous les textes et inscriptions bactriens ont été republiés avec beaucoup de soin et d’excellentes photographies, mais avec une interprétation qui a soulevé plus que du scepticisme, par H. HUMBACH, Bak. Sp.
9
vement anguleuse. R. CURIEL en a déjà donné une étude descriptive et historique à laquelle nous n’avons rien à ajouter [22]. Mais la lecture de DN I est particulièrement difficile et il nous a semblé indispensable de dresser la liste des formes, ne serait-ce que pour garantir leur identification et leur restitution.
A. Cette lettre est très fréquente et de
forme toujours identique .
Il peut arriver que l’extrémité inférieure de la haste droite ait disparu
(martelage, usure) et qu’il faille restituer en a des lettres qui sur le
fac-similé paraissent être des d.
A trois reprises (l. 6, 7, 11), nous avons vu, ou cru voir, des lettres
qui ont l’apparence d’un
inversé:
. Il ne semble
pas qu’il faille lire ce car elles apparaissent toujours à côté d’une autre
voyelle. L. 11, nous aurions même trois a juxtaposés, ce qui paraît difficile.
Peut-être s’agit-il de d mal gravés, avec une baste gauche trop longue, mais
même cette lecture présente des difficultés (l. 11).
B. Le seul exemple de b est peu lisible. Il semble que les boucles soient anguleuses, avec une vague (maladroite?) tendance à l’arrondissement.
G. Les seuls exemples sûrs de g se trouvent l. 1 et 5. Les autres g que paraît présenter le fac-similé pourraient être des o de forme quadran-gulaire, dont les hastes droite et inférieure auraient disparu. La confusion avec p, r, þ incomplets est également possible.
D. La forme est triangulaire, mais la disposition du triangle varie. Il ne semble pas que l’on puisse déceler la tendance à rendre vertical le côté gauche que notait R. CURIEL. La hauteur du d est en général plus petite que celle des lettres qui lui sont contiguës. Il est possible que nous lisions d des a incomplets [22b].
E. La plupart des exemples sûrs d’e
n’ont pas de barre supérieure:
(l. 2, 4, 5, 6, 12). Une fois (l. 9) cette forme semble simplifiée en
,
mais la lecture est sujette à caution.
Z. Il y a un exemple à peu près sûr l. 7, un autre moins net l. 5. Dans les deux cas, la forme de la lettre serait identique: les barres supérieures et inférieures sont parallèles et fortement obliques.
H. La forme de la lettre n’est pas
assurée. L. 5, il semble y avoir trois fois ,
mais je ne saurais garantir l’intégrité de ces formes. L. 3 et l. 11, on peut
lire
ou H. Ligne 10, il semble qu’on distingue H
ou
. La comparaison
des formes des lignes 10 et 11 semble indiquer
22. JA, 1954, pp. 197-205. La graphie de SK 3 et SK 4 est légèrement, différente: il y a mélange de formes anguleuses et de formes arrondies. Voir A. MARICQ, JA, 1958, pp. 347-352 et R. GÖBL, «Die drei Versionen der Kaniška-Inschrift von Surkh Kotal», Österr. Akad. der Wissenschaften, Ph.-Hist. Klasse, Denkschriflen, Wien, 1965, pp. 1-24.
10
qu’h s’écrit H.
Les autres formes (,
)
pourraient être actuellement incomplètes. Les hastes verticales sont toujours
rectilignes [23].
Q. Deux exemples, l. 1 et 9, dont la lecture peut être contestée. Si nous avons raison de lire q, la forme est celle d’un o quadrangulaire, barré en son milieu.
I. L. 1, 4 et 5, la lecture
= i semble sûre. Mais toutes les hastes verticales isolées que présente le
fac-similé ne sont pas nécessairement des i. Ce peuvent être des restes de
lettres endommagées.
K. Toujours (1. 3, 4, 6, 12) ,
comme sur SK 4 M.
L. Aucun exemple sûr. Peut-être faut-il
lire l la dixième lettre de la l. 13 ,
mais ce pourrait aussi être un d incomplet.
M. Toujours
.On décèle une légère tendance à la courbure des formes.
N. Le nu s’écrit
avec de légères variations de tracé: la haste de droite peut être gravée en deux
parties formant un angle largement obtus; l’angle entre la haste gauche et la
barre médiane peut être obtus. On rencontre une fois (1. 2) la forme
qui est une forme de transition entre le N grec classique et le
kuṣā
a
[24].
O. Toujours quadrangulaire.
P. Le seul exemple sûr de p se trouve l.
1. La forme est beaucoup plus nettement anguleuse qu’en SK 1 et SK 4 B où les
deux côtés sont curvilignes [25].
Ici la haste gauche est rectiligne; la haste droite est plus courte que
la haste gauche et forme un angle obtus avec une courte barre qui s’y rattache: .
La même forme se rencontre en SK 4 M [26] et en
SK 4 A [27]. A la fin de la l. 10 se voit peut-être un p dont
le côté droit serait curviligne:
,
mais la lecture n’en est pas absolument sûre. Le p
de la l. 2
est douteux.
R. Toujours carré. Il est possible (mais non assuré, vu l’état de la pierre) qu’en certains cas la barre horizontale inférieure n’ait pas été gravée.
.
La seule différence avec r (y compris l’absence éventuelle de barre inférieure)
tient au fait que la barre supérieure s’attache non au sommet de la haste
gauche, mais un peu au-dessous de celui-ci.
23. A SK, la haste droite est curviligne.
24. Voir CURIEL, JA, 1954, pp. 200-201.
25. Voir BENVENISTE, JA, 1961, Pl. II, bloc 5; Pl. IV, l. 10, 12, etc.
27. E. BENVENISTE, JA, 1961, Pl. III, l. 8, 11, etc.
11
L’inscription étant très mal conservée, il y a
constamment possibilité de confusion entre
= r,
= þ, et même
= p.
S. La lecture s est sûre l. 1 et l. 4.
Le sigma à quatre branches non parallèles
est employé avec valeur numérale comme en SK 2 [28].
Le s de la l. 4 ne se rattache pas au s carré de SK 1
;
c’est manifestement une adaptation du sigma lunaire fréquent à SK:
>
. Le lapicide a
ainsi évité la tâche très difficile de graver des courbes dans une pierre à la
fois dure et fragile [29].
T. Nous n’avons aucun exemple sûr de tau, mais il faut probablement lire t
les lettres incomplètes figurant l. 2 (3e et 13e
lettres) et l. 10. Le t aurait la forme (restituée)
, avec une curieuse barre verticale s’attachant à l’extrémité droite de la barre
horizontale. Une forme analogue se voit sur l’un des blocs de SK 1 [30]:
.
J’avais un moment pensé à une restitution
= z, où la présence de la petite haste verticale se comprendrait mieux. Mais à
la réflexion, il me paraît difficile d’admettre que z se soit écrit dans la même
inscription monumentale à la fois
et
.
Il aurait aussi fallu admettre que l’inscription ne comportât aucun t, ce qui à
priori est improbable.
U. Un seul exemple sûr, l. 1. C’est un u
à trois branches qui
n’a son correspondant dans aucune autre inscription d’époque kuṣāṇa.
F. Un exemple probable, de forme
anguleuse, à la fin de la l. 6: .
C. Trois exemples sûrs, l. 6 et 13.
W. Toujours rectangulaire (l. 2?, 9,
12, 13): .
Il semble y avoir au moins deux ligatures, à
la fin de la l. 3 et l.
13
.
La graphie de DN I est donc exclusivement anguleuse, plus encore que la graphie de SK l. Le choix entre écriture cursive et écriture anguleuse a, semble-t-il, été dicté par la nature du matériau: il était plus facile de graver des lignes droites que des lignes courbes. Il paraît évident qu’à la même époque, un alphabet grec cursif était en usage: certaines lettres (m, n, p, s) sont manifestement adaptées de modèles curvilignes. L’absence apparente de lettres rondes n’est donc pas un témoignage d’archaïsme.
*
* *
28. Voir MARICQ, JA, 1958, p. 416.
29. Dans DN III et IV, les courbes sont assez nombreuses. Mais la gravure est moins profonde qu’en DN I et II.
30. CURIEL, JA, 1954, p. 190, f.
12
La langue:
A priori, il semblait que DN I fût
écrit en bactrien. Plusieurs indices tendaient à le faire croire: l’absolue
identité des alphabets de DN I et de SK; la nette prédominance du vocalisme o;
la présence immédiatement reconnaissable de mots iraniens:
(l. 2),
(l.
5),
(l. 5),
(l. 13); la tentation de distinguer l’«iḍāfat»
bactrien i l. 4 et 5:
.
Mais il n’était pas possible d’aller au-delà de ces constatations: nous n’avons
découvert aucune séquence de lettres qui pût sûrement être interprétée comme une
forme verbale (sauf
), ni
aucune des formes pronominales (
)
qui ont permis à W. B. HENNING d’élucider en partie le sens des inscriptions de
SK. Les indices jusqu’ici relevés permettent seulement de penser que DN I est
rédigé dans une langue iranienne proche du bactrien; ils ne permettent pas de
préciser le rapport qui pourrait exister entre la langue de DN I et celle de SK.
*
* *
1. Les deux premières lignes sont les
mieux gravées; les lettres y ont presque un caractère monumental. Le fac-similé
de la ligne 1 peut être considéré comme sûr. On lit nettement [31]
soit «279 (mois de) Gorpiaios, [15e ?] (jour)». L’inscription est
donc datée, en grec. La date est la même que celle de SK 2: 279 [32].
Le s est à quatre branches, forme qui semble réservée à l’expression des dates [33].
Le O est sûr. Pour la troisième lettre, nous avons longtemps hésité avant
d’adopter la lecture Q:
la gravure de la lettre n’est pas continue et il semble que
soit gravé
. Il y avait
donc à priori possibilité de lire e
.
Mais dans l’inscription, z s’écrit sans barre supérieure:
,
et s’il fallait lire s, la haste qui suivrait immédiatement cette lettre serait
incompréhensible [34]. En outre DN IV est datée de 279. Il
semble donc que la lecture ZOQ
= soq' = 279 soit assurée.
Le mois est indiqué en grec, au génitif:
[35]. Ce nom de mois macédonien [36] est
maintenant bien connu en Iran Oriental et en Inde: il est attesté en Hyrcanie
[37] et à Mathurā
[38]. Dans les inscriptions
31. Selon l’usage des éditeurs d’inscriptions grecques, nous pointons les lettres en partie conservées. Les restitutions sont indiquées entre crochets droits [ ]; les propositions de correction entre parenthèses courbes ( ).
32. BIVAR, BSOAS, 1963, p. 500; HUMBACH, Bak. Sp., p. 100. MARICQ lisait soe = 275, qui est également possible, mais me semble moins bon.
34. D’autant plus qu’il ne s’agit pas d’une simple haste: trois moignons de barre horizontale s’accrochent à sa gauche.
36. A placer en août ou septembre: voir Alan E. SAMUEL, Greek and Roman Chronology, Handbuch des Altertumswissenschaft, I, 7, Münich, 1972, pp. 140-144.
37. L. ROBERT, Hellenica, XI-XII, Paris, 1960, p. 85, l. 11.
38. St. KONOW, «Mathurā Brāhmī Inscription of the year 28», Epigraphica Indica, XXI, 1931/1932, pp. 55-61 et W. W. TARN, The Greeks in Bactria and India, Cambridge, 1951, p. 359. L’emploi d’un mois macédonien à Mathurā est d’alleurs tout à fait exceptionnel.
13
kharoṣṭhī, l’usage du calendrier macédonien est également bien attesté [39]. La mention du mois de Gorpiaios n’a donc rien qui puisse nous étonner.
Mais ce nom de mois est décliné en grec. Car,
au DN, toute la formule de datation est un héritage direct des usages de la
chancellerie séleucide [40]. Elle est exactement identique à
celle des textes officiels séleucides: le chiffre de l’année n’est pas précédé
du mot
[41], et le nom du mois est au génitif, sans mention du mot
«mois». C’est ce type de formulaire que l’on trouve, par exemple, dans
l’inscription grecque d’Hyrcanie citée plus haut [42].
Après le nom du mois, dans les inscriptions
officielles datées de l’ère séleucide, vient souvent l’indication chiffrée du
jour. C’est pourquoi (et bien que l’ère ici utilisée ne soit certainement pas
l’ère séleucide) nous proposons de lire
les deux lettres qui figuraient à la fin de la l. 1 et dont il ne reste plus que
des traces.
2. La l. 2 a été fortement martelée,
mais sa lecture est encore possible grâce à l’estampage BERNARD. La première
lettre est un p; la barre inférieure ne se voit plus, mais a dû exister. Les
deux lettres suivantes sont, sans doute possible, a et o.
Le premier mot est donc
= šao < ancien iranien cšāwan, «roi» [43].
Vient ensuite ce qui, sur l’estampage BERNARD
et sur notre fac-similé, est un n. Sur la pierre, il semblait possible
de lire = k.
Vérification faite en 1970, la partie de la haste gauche dont nous avions cru
discerner la présence au-dessus de la barre horizontale est en fait une éraflure
résultant du martelage. Au reste, la forme
= k serait tout à fait exceptionnelle dans notre inscription où k s’écrit
toujours
.
La lecture
= n doit donc être tenue pour sûre.
Les deux lettres suivantes sont an, suivies
d’une lettre malaisément identifiable: on ne voit plus que le sommet d’une
petite lettre triangulaire. La lecture
= o est exclue [44]. Il faut très probablement lire
.
Me fiant à l’estampage BERNARD et à mes
propres observations sur la pierre, je transcris les quatre lettres suivantes ,
la lecture p étant probable, mais pas entièrement assurée. Vient ensuite une
lettre qui n’est probablement pas un g; on peut penser à r, à þ, ou à la rigueur
à o. Les trois dernières lettres de la l. semblent devoir être lues
.
39. St. KONOW, Corpus Inscriplionutn Indicarum, II, 1, p. LXXXIX.
40. Sur l’usage du
calendrier macédonien et de l’ère séleucide à l’Est de l’Euphrate, même sous les
Arsacides, voir en dernier lieu G. LE RIDER,
Suse sous les Séleucides el les Parthes, Paris, 1965, p. 38. La lettre du
souverain parthe Artaban II à Séleucie de l’Eulaios (Suse) est datée de ,
«268, Audnaios, 17» (ère arsacide), soit 11 décembre de l’an 21 de notre ère: C.
B. WELLES, Royal Correspondence in
the Hellenistic Period, New-Haven, 1934, 75, 14 et LE RIDER, op. cit.,
p. 35.
41. Cf. M. HOLLEAUX, Études d’épigraphie et d’histoire grecques, tome III, Paris, 1942, pp. 173-174.
42. L. ROBERT, Hellenica, vol. XI-XII, Paris, 1960, p. 85, l. 11.
43. BAILEY, BSOAS, XII, 1948, pp. 327-328; MARICQ, JA, 1958, p. 384.
44. M. GERSHEVITCH et
moi-même aurions voulu lire o pour rétablir au début de la l. 2 une séquence .
Je ne puis que renvoyer le lecteur aux fig. 9 et 12 où le reste de la Vettre
triangulaire est nettement visible. D’ailleurs
devrait être suivi d’un pœo qui n’a jamais été gravé sur la pierre.
14
La l. 2 doit donc être transcrite
Seule la séquence
est immédiatement identifiable. On y reconnaît le nom de la déesse Nana Šao,
plusieurs fois attesté sous la forme Šao Nana [45]. Nana Šao
est une des grandes divinités de l’Asie Centrale [46]. Elle figure notamment au revers
des monnaies de Kaniṣka
I, de Huviṣka, de Vāsudeva
et au revers d’une monnaie de Kaniṣka
(III?) frappée en Inde [47]. Qu’elle soit nommée dans les
inscriptions du DN, qui sont sûrement d’époque kuṣāṇa,
n’a rien qui puisse étonner.
On attend après la mention de
soit une (ou plusieurs) épithètes cultuelles, soit une forme verbale. Rien de
tel ne se reconnait pour l’instant à la fin de la l. 2. Mais le début de la l. 3
semble présenter une partie du verbe attendu.
3. Si le premier signe de la l. 3 était
complet, comme il me le paraissait à première vue, il ne se laisserait pas
interpréter. Il me paraît donc qu’il s’agit d’un n endommagé [48]
et je lirais les quatre premières lettres [49].
Il semble impossible de séparer
du
qui précède,
car il est probable que, dans ce texte comme dans les inscriptions de SK, la
finale des mots est toujours vocalique. On ne lira donc pas N
, oto
signifiant «et» comme à SK [50],
mais
, ou mieux, à
cheval sur les l. 2 et 3,
,
avec t < -tt- ou < -r(i)t-
[51].
Vient ensuite un þ,
une lettre incomplète, puis un o. On reconnaît ensuite la séquence oohmo,
«Wima», qui m’incite à lire .
Les traces sur la pierre ne paraissent pas s’opposer à cette lecture. Après
,
on distingue un t incomplet, un a
et un k, puis une ligature qui pourrait être lue pi:
>
. La l.
2 se termine par un o.
La forme
est énigmatique, mais reprenant une suggestion de M. GERSHEVITCH, je me demande
s’il ne faut pas rapprocher
du second nom de Wima, KadjishV (grec), Kaṭhphiśa-
ou mieux Kathpiśa-
(kharoṣṭhī)
[52]. Les graphies KadjishV,
Kathphiśa
sont en effet la forme
45. Monnaie d’Huviṣka: MARICQ, JA, 1958, liste p. 424; ROSENFIELD, Kushans, p. 91, n° 14 b (PL. VIII, 147). Monnaie de Kaniṣka (III ?): B. N. MUKHERJEE, Nanā on lion, Calcutta, 1969, chap. I-III. Republiant une monnaie déjà publiée par F. G. MARTIN, JASB, Numismatic Suppl., 1931-1933, n° XLIV, pp. 8-9, M. MUKHERJEE en lit la légende Nwnasao (p. 10). Seul Nwn est sûr: voir G. FUSSMAN, BEFEO, LVIII, 1971, p. 299, n. 7.
46. ROSENFIELD, Kushans, pp. 83-91; MUKHERJEE, Nanā on lion, ch. I et II (voir G. FUSSMAN, op. cit., pp. 299-302); P. BERNARD, Comptes Rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Paris, 1970, p. 342, n. 2.
47. Voir B. CHATTOPADHAY, The age of the Kushānas, a numismatic study, Calcutta 1967, pp. 164-165. Pour la monnaie de Kaniṣka (III ?), voir supra, n. 1.
48. Si l. 1 u ne
s’écrivait pas , je
lirais sans hésitation
.
49. Sur la lecture t, voir p. 11.
50. Voir en dernier lieu G. MORGENSTIERNE, «Notes on Bactrian phonology», BSOAS, 1970, p. 129.
51. Voir G. MORGENSTIERNE, op. cit., pp. 127-129.
52. Sur les différentes formes du nom de Wima Kadphisès, voir R. GÖBL, «Die Münzpragung der Kušān von Wima Kadphises bis Bahrām IV» dans F. ALTHEIM et R. STIEHL, Finanzgeschischte der Spätantike, Frankurt am Main, 1957, pp. 173 sq.; ROSENFIELD, Kushans, pp. 22-23; HUMBACH, Bak. Sp., pp. 39-41, où l’on trouvera la bibliographie. Je ne puis approuver la lecture Kapphiśa proposée par GÖBL, op. cit., DAS GUPTA, The development of kharoṣṭhī script, Calcutta, 1958 [rédigé en 1946], pp. 151-152, et reprise par WOOD, The gold coin-types of the great kushānas, Numismatic notes and monographs, Numismalic Society of India, n° 9, Varanasi, 1959, p. l. Voir déjà KONOW, CII, p. LXVIII. Le tableau des légendes dans B. CHATTOPADHAY, op. cit., pp. 209-214, est défiguré par les fautes d’impression. La lecture Uuima Kavthisa de l’inscription de Khalatse (KONOW, CII, II, 1, p. 81) ne me paraît pas assurée. Voir par exemple F. W. THOMAS, New-Indian Antiquary, VII, pp. 81 sq.
15
définitivement adoptée d’un nom dont
l’orthographe, sur les monnaies de Kujula, varie beaucoup [53]: KadajeV
(grec), Kadjizou (génitif grec), Kasa-,
Kaphsa-,
Kadapha-,
Kapa-,
Kaüsa.
On peut imaginer que takpio < *katpio par métathèse ou erreur du
lapicide; *katpio serait très proche de Kathphiśa.
C’est une hypothèse à priori séduisante, mais qui ne repose sur rien de solide.
Bien que DN I ait été gravée sans soin aucun, il est toujours dangereux de
supposer des erreurs de gravure, surtout dans un texte qu’on ne comprend pas.
C’est pourtant ce que l’on est encore tenté de faire l. 4.
4. Les sept premières lettres, en effet,
sont sûres: . Une fois
lu le nom de Wima l. 3, il est évidemment tentant de lire
au prix d’une faible correction:
pour
=
.
Mais la pierre porte
.
La huitième lettre est incomplète. Ce pourrait être un
. Viennent
ensuite un a et une lettre qui semble avoir été un þ,
bien que je n’aie vu aucune trace de la barre inférieure.
La lettre suivante, si j’en juge d’après les
traces sur la pierre, devrait être lue .
Mais ensuite il y a un r (à la rigueur un þ
incomplet) et ce qui semble être les restes d’une consonne. Il est impossible
d’imaginer que le texte comporte quatre consonnes se suivant sans intercalation
de voyelle. Nous ne lirons donc pas
,
mais
, et
le mot se termine par un o, qui est sûr.
On voit ensuite sur la photo, et j’ai cru voir
sur la pierre, une haste verticale simple. Mais sur l’estampage, je crois
discerner le départ d’une barre oblique à gauche de la haste. Ce n’est pas assez
pour permettre de lire u, mais cela suffit à rendre douteuse la lecture i, que je propose
cependant. La fin de la l. est claire: dasem.
Nous lirons donc l’ensemble de la l. 4 .
5. L’estampage BERNARD permet de lire
les quatre premières lettres: .
La séquence qui suit est absolument assurée agoi. On reconnaît immédiatement le
mot iranien
, qui
signifie «dieu», mais qui est également une appellation respectueuse des rois [54].
est précédé et suivi de i. Cela a suggéré à M. GERSHEVITCH qu’il y avait là un
équivalent de l’«iḍāfat»
bactrien i [55], ou, comme
l’appelle HENNING, du relatif-article i notant ī[56].
On lira donc les l. 4
53. Voir la note précédente. Pour une analyse de ces variations, voir A. M. BOYER, «L’époque de Kaniṣka», JA, 1900, pp. 556-557.
54. W. B. HENNING, BSOAS,
1960, p. 52, n. 5, dit même «Every gentleman was entitled to it as a preflx,
though hardly regarded as a divinity.» Cela me paraît un peu exagéré. MARICQ, JA, 1960, pp. 165-166, maintient
que signifie
,
«dieu», même dans la titulature royale.
55. Sur celte appellation, voir GERSHEVITCH, Indogermanische Forschungen, 1967, p. 48.
56. HENNING, BSOAS, 1960, p. 50.
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et 5 ,
et l’on verra dans
[lire
?],
des épithètes se rapportant à
.
Je lis ensuite hz, suivis d’une lacune qui,
sur le fac-similé, paraît peut-être plus importante qu’elle n’est en réalité. Je
pense qu’il ne manque qu’une lettre. Vient ensuite une lettre qui pourrait être
un h,
mais aussi un r ou un þ
incomplets, puis une haste que je crois être un i et le restant d’une lettre qui
pourrait être o.
Ces lettres sont suivies d’un h (ou d’un þ
incomplet). La fin de la ligne est sûre:
et il manque peut-être une lettre. Il est tentant de reconnaître la séquence
< *aita- [57], «ceci». Je ne sais où couper la
séquence comprise entre
et
: on peut
considérer que le i est un nouvel «iḍāfat»
et couper
, soit
considérer qu’il fait partie d’une séquence
,
que l’on trouve par exemple dans SK
[58]. On couperait alors
.
Dans les deux hypothèses, la séquence
est énigmatique. Nous nous abstiendrons de prendre parti et lirons donc la l. 5.
6. Au début de la l. 6, nous lisons
sûrement co, très probablement suivi d’un k. Après un étroit vacat, on
voit une haste verticale qui pourrait être un iota. Viennent ensuite les
restes à peine discernables d’une haste verticale dont je ne sais s’il faut la
combiner avec la précédente (qui ne serait donc pas un i) ou s’il s’agit d’une
lettre indépendante. Nous choisissons de lire ,
mais la lecture
serait aussi légitime.
Les trois lettres suivantes sont sûrement ;
vient lors une lettre défigurée par le martelage, mais que M. GERSHEVITCH a
sûrement raison de lire þ,
malgré la disparition de la barre inférieure et la présence de ce qui pourrait
être une éraflure prolongeant la haste droite au-dessus du niveau de la barre
horizontale supérieure.
Après ce þ,
on lit sûrement ,
suivis d’une lettre que je n’ai pas réussi à identifier [59],
mais que j’interprète comme un d. Je
vois ensuite un a et ce qui semble être les traces d’un
(ou d’un
). La
pierre en cet endroit est entièrement illisible, mais j’ai cru discerner sur les
clichés BOUTIÈRE
,
le a étant assuré. La séquence
(et même o)
étant
à priori impossible, il faut admettre que nous avons mal interprété la photo et
les traces que semble porter un des estampages. Nous lirons cependant la l. 6
car nous ne pouvons nous hasarder à corriger
un texte que nous ne comprenons pas.
7. Le début des l. 7 et 8 est très
endommagé. C’est en cet endroit qu’a été creusé, entre 1967 et 1969, un petit
mortier. Les clichés BOUTIÈRE et les estampages BERNARD ont seuls pu servir à
l’établisse-
58. HENNING, BSOAS, 1960, p. 53.
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ment du fac-similé. La première lettre de la l. 7 semble avoir été un r ou un þ. Puis vient un o et ce qui pourrait avoir été les restes d’un n. On est tenté de lire ensuite h, mais þ n’est pas impossible. La séquence idi, qui suit paraît sûre. Après, je vois les traces d’une haste, et il y assez de place pour une lettre encore, si la haste précédente n’est pas le côté gauche d’une lettre large.
Après cette lacune, la lecture serait sûre si
je pouvais identifier la curieuse lettre
[60]. Je propose, sans pouvoir justifier mon hypothèse, de
lire [d ?]o.
La pierre porte alors les traces de trois
hastes verticales dont je ne sais si elles appartiennent à une ou deux lettres.
La fin de la ligne se lit sûrement .
J’imprimerai cependant
,
avec des parenthèses courbes indiquant une correction, car le i n’est pas une
simple haste verticale. On voit nettement le départ d’une barre horizontale
s’accrochant à droite de cette haste. Il est impossible de lire
ou (o). J’admets donc que la barre horizontale a été gravée par inadvertance et
je lis la l. 7.
La fin de la ligne semble donc occupée par un
nom propre analogue à SK 4 .
8. La l. 8 est également très abîmée.
Nous ne proposons aucune lecture pour les deux (ou trois?) premières lettres
dont il ne reste que des traces, et nous transcrivons l’ensemble de la l.
9. La première et la cinquième lettre
peuvent être lues ,
ou þ. Au milieu de
l’antépénultième lettre, je crois distinguer une petite haste verticale qui est
peut-être une éraflure récente. Je propose clone la transcription suivante
avec une séquence -ao qui rappelle la
désinence d’instrumental saka -au.
10. La première lettre a disparu; la seconde
pourrait être a,
suivie de o, et d’une lacune qui peut contenir deux lettres. On reconnaît
ensuite la même séquence ao que l. 9, précédant un groupe .
Mais le groupe td est à priori improbable et peut-être vaudrait-il mieux lire
.
Rien ne nous autorise à choisir entre ces deux lectures.
La lettre suivante ne se laisse pas restituer.
La fin de la l. est claire, à l’exception des traces de l’avant-dernière lettre,
que je ne sais pas interpréter: .
La l. 10 se transcrirait donc
11. On lit d’abord mo, suivi des restes
d’une lettre quadrangulaire (n, o, r ou þ),
séparés des restes d’une autre lettre quadrangulaire par une lacune d’une ou
deux lettres. Je crois alors distinguer les traces d’un h suivi d’une haste dont
je ne suis pas sûr que ce soit un i. Puis deux a et l’énigmatique ,
que je transcris toujours d faute de mieux.
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La fin de la l. semble plus sûre; je
transcris en
interprétant comme un d la lettre
triangulaire dont je distingue les traces entre les deux a. La fin de la l. est
contiguë à la fin de la l. 6 de DN III.
Il serait hasardeux de considérer à priori que la séquence -ano est une désinence de génitif pluriel, et c’est pourquoi je transcris sans couper
12. Le début de la l. 12 est plus que
douteux. Je vois une haste, suivie des traces d’un j, à moins qu’il s’agisse de
deux lettres carrées accolées ou même d’un w. Ensuite deux lettres peu
visibles: mw, un o raisonnablement sûr, une haste et une lacune d’une lettre. La
séquence suivante a été lue par M. GERSHEVITCH ,
mot que l’on trouve dans SK 4, auquel HENNING attribue le sens de «pur»
[61] et dans lequel M. GERSHEVITCH verrait volontiers le
génitif pluriel de iranien kāra-,
«peuple» [62]. La fin de la ligne semble devoir être lue
et est contiguë à la fin de la l. 7 de DN III.
Je transcris l’ensemble de la l. 12
13. Le début de la l. 13 est gravé sur
le bord d’une écaille et est très difficilement lisible. La deuxième lettre est
incomplète, la quatrième est une ligature que je ne sais comment décomposer (o +
?). Je lis donc avec de fortes réserves ;
la fin de la ligne est sûre:
ou
. M.
BENVENISTE et M. GERSHEVITCH ont rapproché
de persan xwāndan
«appeler».
signifierait
«(fut) appelé». Nous transcrirons donc la l. 13
et l’ensemble de l’inscription
61. BSOAS, 1960, p. 54 (12).
62. BSOAS, 1963, p. 195. Cf. bactrien karalraggo < *karān-drang, HENNING, BSOAS, 1960, p. 51 et ZDMG, 1965, pp. 77-78.
63. Étant donné la
fréquence des formes en -ao dans ce
passage, il serait tentant de restituer un coordonnant comme amo
(HENNING, BSOAS, 1960, p. 52; BENVENISTE, JA, 1961, p. 148).
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